Un nouveau chemin de fer et deux nouvelles provinces
L’immigration massive vers les Prairies canadiennes modifie la situation politique de l’Ouest canadien et amène le gouvernement fédéral à se repositionner face au développement de cette région. Les territoires situés entre le Manitoba et la Colombie-Britannique reçoivent ces nouveaux arrivants, mais ils ne font pas encore partie officiellement de la Confédération canadienne. Les terres de Rupert appartiennent à des compagnies privées. Avec la hausse du développement économique et l’augmentation des transports de marchandises, Laurier prend deux décisions majeures : la création de deux nouvelles provinces et l’implantation d’un nouveau chemin de fer reliant les deux océans.
Un chemin de fer...
Le 30 juillet 1903, Laurier présente son plan ferroviaire devant le Parlement. En simple, le gouvernement du Canada deviendra propriétaire du tronçon entre Moncton et Winnipeg, tandis que la compagnie créée pour l’occasion — le Grand Tronc Pacifique — se chargera de toute la construction et sera propriétaire du tronçon allant de Winnipeg à Prince-Rupert. Le gouvernement touchera alors un revenu de location qui viendra rembourser l’investissement.
Ce chemin de fer septentrional n’est autre chose que la réalisation, sur une plus grande échelle, du rêve favori de patriotes disparus, Mgr Labelle, Chapleau, Mercier, qui n’ont cessé d’impliquer le Nord comme le véritable champ de l’expansion nationale. (Le Soleil, 31 juillet 1903)
La construction est véritablement perçue comme un signe tangible et indélébile de la prospérité économique du Canada ; c’est d’ailleurs à cette époque que Laurier énonce son désormais célèbre : « Le XXe siècle sera celui du Canada ».
Le projet du chemin de fer du Grand Tronc Pacifique sera réalisé, mais sa construction ne respectera en aucun point les termes émis au départ par Laurier. Plutôt que les 13 millions prévus, c’est 170 millions que coûtera le tronçon qui est la propriété du gouvernement. «" La constitution, comme je l’ai déjà dit, entend que l’opinion de chacun soit librement exprimée comme il la conçoit. » Le projet sera entaché de nombreux cas de corruptions et c’est au cours de sa construction qu’on assistera, en 1907, à l’effondrement tragique du pont de Québec. Ce projet sera un fiasco financier et un boulet énorme pour Laurier et son gouvernement.
... et deux provinces
Sur le plan politique, Laurier doit légiférer pour encadrer l’explosion démographique des Prairies. Suivant l’effort de Laurier pour augmenter la population, uniquement de 1901 à 1911, les Prairies accueillent plus de 700 000 nouveaux arrivants. Laurier entreprend de créer officiellement deux nouvelles provinces et de les intégrer à la Confédération. Cette intégration ravive, à Ottawa, les débats sur l’encadrement, par le fédéral, des langues d’enseignement et de l’octroi des territoires. S’entame alors un second débat sur les écoles séparées et la « canadianisation » de ces immigrants.
Le 5 janvier 1905, Laurier entreprend officiellement les pourparlers pour la création de deux nouvelles provinces. Au cœur des discussions sur les tenants et aboutissants du projet, Laurier reste calme et patient. L’historien Réal Bélanger va même jusqu’à dire qu’il « adopte la diplomatie tranquille ».
À l’insu de nombreux ministres de son propre gouvernement, Laurier dépose, le 21 février, un projet de loi déjà tout ficelé qui propose que le fédéral détienne la propriété des nouvelles terres publiques, que les nouvelles provinces obtiennent de généreuses compensations financières et que les écoles soient séparées. L’Autonomy Bill est soutenu par l’article 16, rédigé pour ce cas et garanti par l’article 93 de la Confédération. Au dépôt du projet, l’astucieux politicien met l’ensemble des députés devant le fait accompli. À ce moment, Laurier est considéré par plusieurs comme un héros, se tenant debout, courageusement, devant l’opposition.
Par contre, dès le lendemain, ce projet de loi est décrié et crée un tollé sans précédent à la grandeur du pays. Après plusieurs semaines de débats et de revendications, Laurier doit reculer au sujet des écoles séparées. Il perd à ce moment l’aura du grand politicien, maintenu jusqu’à ce jour. « Je n’étais pas préparé à la tempête qui s’est élevée », écrit Laurier à John Willison, le 7 mars 1905.
Aujourd’hui, l’histoire de l’intégration de ces deux nouvelles provinces est marquée par les révoltes qui s’en suivirent.